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Peru Bolivia : un mois pour tout donner
2 avril 2016

Nuestra Señora de La Paz

Alors que l’obscurité ne va pas tarder à apparaître d’un coup, je termine confiant les dernières minutes de descente, en lorgnant sur les échoppes ouvertes sur les rues. J’en profite pour acheter deux paires de chaussettes sur un coin de trottoir, car il n’y a qu’un problème dans un voyage, c’est l’odeur des seules chaussettes que l’on a, deux petits pains ronds à une bande d’infirmières, et un savon. Je gagne la place de la cathédrale et ai enfin un point de repère pour me diriger. Je parviens à identifier le quartier des guesthouses. Je ne cherche pas à faire de l’original ce soir, il va bientôt commencer le moment où l’on n’y voit plus rien. Je me rends compte rapidement que tout est complet, ou que tout est trop cher. Alors que je me croyais sorti d’affaire en ayant rejoint le centre, je dois une fois encore recommencer une de ces courses contre-la-montre que l’on est de temps en temps obligé de mener dans ce genre de voyage-là, surtout quand on est seul, puisque le prix d’une chambre ne peut alors jamais être divisé par deux.

PB_Article La Paz_Image 1_pain

A force de questionner les réceptionnistes souvent très jeunes que je trouve souvent avachis sur un canapé ou un fauteuil, je finis par dégoter une bonne piaule pour trois au prix d’une piaule pour un tiers. Je pose mon sac, le vide, ouvre mon savon et vais prendre une bonne douche. L’eau est chaude, du moins au début. Je ressors aussi sec une fois la douche finie, pour rejoindre la zone d’où je me suis fait rejeter. Je dois arpenter quelques ruelles sombres et d’un calme dérangeant. Je rejoins une cantine et je m’aperçois qu’elle n’est pas très bonne, voire pas bonne du tout, dès ma première bouchée. Dans ces cas-là, on regrette toujours d’avoir commandé le mauvais plat, mais il se trouve que d’autres semblent l’apprécier à mes côtés. Mais voilà, rien n’indiquait sur la carte, que la moitié de l’assiette était couverte de pommes de terre. Pour moi, c’est la douche froide, la vraie.

Sitôt le repas fini, vite expédié à vrai dire, je retourne à mon hôtel. Par la fenêtre du hall du troisième étage où l’on m’a désigné ma chambre, je vois entre deux immeubles tout noirs, en contrebas, la flèche de la cathédrale San Francisco, éclairée, se distinguer sur un fond noir parsemé de petits points jaunes blafards, l’autre versant. Après de longues minutes assis dans un fauteuil en cuir, dans la pénombre de ce hall d’étage, à regarder par la fenêtre une ville qui ne me permettait pas d’ici d’en distinguer son activité, mais qui me foutait tout un pan d’elle devant les yeux, d’en supposer toute une moitié, affichée devant moi à la verticale, je vais m’endormir sitôt la porte de ma chambre franchie. Le lendemain sera fait de descentes et de montées, et il fallait être reposé.

PB_Article La Paz_Image 2_vers le haut

PB_Article La Paz_Image 3_hombre bajando

Je décide donc de partir à l’aventure des rues et ruelles de la partie basse de La Paz, et de temps en temps monter un peu plus haut au hasard des activités ou curiosités aperçues. Je rejoints le poumon pollué de la ville, l’artère du bruit et des enseignes internationales, celle des bureaux des banques, des compagnies aériennes. Je commence à grimper sur l’autre face du canyon, en direction du stade, le plus haut du monde qui accueille son équipe nationale, qui possède alors un avantage non nul sur leurs adversaires, mêmes brésiliens. Nos trois amis péruviens croisés sur la route de Copacabana, y ont assisté à un match nul, il y a quelques jours. 

PB_Article La Paz_Image 4_el prado

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La ville ici est celle de la débrouille et des vues impressionnantes sur le versant de mon hôtel, véritable tapisserie de ce qui de loin ressemble à des cabanons quand même un peu durs. Il y a sur la place devant le stade des gens qui ont des métiers que l’on n’a plus chez nous, ou même que l’on n’a jamais eu chez nous. Des femmes semblent aider les gens à repérer les minis combis, à moins que ce ne soit des rabatteuses, qui dirigent les passants vers le combi de leur mari. Il y aussi des fast food locaux, celui au poulet qui a un peu copié le nom et l’apparence du KFC, le marchand de glace qui a un peu copié le nom et le slogan d’Häagen-Dazs, et la pharmacie qui fait la taille d’un Franprix et qui vend tout, du détergeant au médicament.

Je redescends en longeant de grands boulevards, en les traversant parfois en courant, en regardant à droite, à gauche, devant et derrière au moins deux fois. Certaines traversées ne sont pas faites pour les piétons. Je rentre dans un petit parc où les collégiens et les lycéens se retrouvent à l’heure de midi, à l’ombre d’un arbre, dans leurs beaux uniformes. Plus loin, dans une rue, je prends un sandwich sur le pouce, au milieu de petits hommes d’affaire à une vendeuse qui a tout fait pour me le vendre.

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Jamais à La Paz nous ne sommes à l’abri des regards. Cette ville en vue plongeante offre une vue de balcon à tout un chacun. A moins d’être juché sur la crête, vous êtes forcément en contrebas de quelqu’un, et les deux versants se faisant face, vous êtes automatiquement localisable par ceux d’en face, voire ceux des deux côté lorsque vous êtes tout au fond de la faille. C’est une sensation étrange. Les villes plates se découvrent en marchant des kilomètres. La Paz se découvre en dénivelé. L’effort à cette altitude est rude. La chaleur n’aide pas. Mais je suis acclimaté. Tant à l’altitude qu’aux chaleurs d’ici. Je me sens bien à grimper, à voir ces rues inclinées pourtant toutes plates sur ma carte.

PB_Article La Paz_Image 9_la pared

Je passe vers les ministères. On y voit des groupes de protestation qui ont planté un campement de fortune, avec panneaux portants des slogans, demandant enfin la vérité dans telle et telle affaire, plus de droit pour les indigènes, pour dire non à tout un tas de choses. Un peu plus loin, au niveau de l’UMSA, la faculté d’ingénierie, on peut lire sur une banderole rouge le message suivant : « Podrán cortar todas las flores del mundo, pero no podrán terminar con la primavera ». En espagnol, le futur est utilisé. Je choisi en français d’utiliser le conditionnel qui sonne mieux, et qui n’enlève en rien la teneur du propos : « Ils pourraient couper toutes les fleurs du monde, mais ils ne pourraient pas en finir avec le printemps ». Au même moment, longeant le bâtiment, un long défilé de femmes, avec leurs tenues bouffantes et leurs chapeaux ronds, protestent elles aussi. Pourquoi n’y a-t-il pas d’hommes, autres ceux qui passent à travers ? La revendication est pourtant transgenre : « Nous refusons les abus de la police municipale et des fonctionnaires de la direction des marchés ». Je reste quelques minutes au milieu de cette foule, protestant de facto contre les abus en tous genres.

PB_Article La Paz_Image 10_printemps

PB_Article La Paz_Image 11_UMSA

PB_Article La Paz_Image 12_marchés

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PB_Article La Paz_Image 14_manif profil

PB_Article La Paz_Image 15_homme à travers

Plus tard, en fin de journée, je me rends à la cathédrale San Francisco, pour assister à l’office. Nous sommes un jour de semaine comme tous les autres, pas un dimanche ni un samedi, et à 18 heures il y a la messe. La cathédrale est déjà bien remplie à mon arrivée. A l’arrivée de l’homme d’Eglise qui dirigera la petite fête, des gens debout dans les allées latérales n’ont pas trouvé de place. Parler de ferveur est possible. En passant sur la place les paceños quels qu’ils soient viennent passer la tête et écouter quelques minutes de bonne parole. Les allers et venues sont nombreux pour ceux qui sont debout. Ceux qui sont vissés au premier rang, parfois se lèvent, un portrait d’un être cher mais disparu dans les mains, le déposent sur les quelques marches qui conduisent à l’autel, font quelques pas en arrière, et se prosternent en pleurant fort, obligeant le prêtre à interrompre son discours ou sa lecture, pour quelques mots de réconfort et de prière. Certains moments donnent la cher de poule. Les cantiques et les psaumes sont repris sans gêne par l’auditoire, emplissant le volume de la nef, les évangiles sont lus avec passion, les poignées de main, au moment où l’ont se souhaite la paix, sont fortes.

PB_Article La Paz_Image 16_catedral

En fait, à la Paz, tout est histoire de passion, de révolte, de vivre ensemble, l’un en face de l’autre, en montée et en descente, d’une vie forcément intense, avec une dose de foi. La Paz est une ville qui nécessite de tout donner, et où dans mon cas, on a envie de tout donner.

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Commentaires
Peru Bolivia : un mois pour tout donner
  • En octobre 2012, après un an de dur labeur, à tout donner, je pars épuisé, un peu hagard, pour un break en Amérique Latine : ce sera le Pérou et la Bolivie pendant un mois : un mois pour tout donner. Mais à ma façon. Retour à froid sur ce mois inoubliable.
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