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Peru Bolivia : un mois pour tout donner
13 mars 2016

Les premières images : Lima

Les premières images du sol, alors que l’avion ronronnait à faible allure dans sa longue phase de descente, et qu’il pointait de temps à autre son aile vers la gauche, furent celles d’une grande étendue d’habitats bas et gris, formant des ensembles cubiques continus, coupés d’artères perpendiculaires habillées de points jaunes blafards. Je suis installé loin des hublots. Je n’ai rien vu de l’extérieur, pas pu voir un seul petit bout de Pérou depuis le haut. Entre deux virages qui me permettent de savoir à quelle altitude nous sommes, je m’imagine cette ville qui se déroule sous la cabine, étendue, uniformes quartiers de cette banlieue à l’heure du réveil.

Les premières images une fois au sol sont comme toujours celles des Hommes qui crient. Amoncelés contre les barrières du hall des arrivées, juste derrières les portes coulissantes qui masquent la zone de contrôle, les Hommes crient. Des familles, des taxis, des gens qui donnent l’impression de n’être là que pour faire foule. Ils brandissent des pancartes, des ardoises. En criant. En criant ce qu’il y a sur leurs pancartes et leurs ardoises. Comme je ne m’appelle pas Eduardo Sanchez Molinaro, Rafael Rios Vasquez, encore moins Luisa Azzuara Mejia, et que je n’ai pas souscrit au Machu Picchu Trek adventure,  je fends la foule avec aucun bruit pour moi, comme inexistant, l’air penaud, avec mon sac à dos sur des épaules pas encore bien réveillées, après douze heures en classe éco. Les bruits qui me sont destinés surviennent sitôt franchies les portes coulissantes donnant sur l’extérieur, une voie de dépose et un parking rectangulaire entouré d’immeubles sans couleur et sans charme. Une horde d’hommes se propose à m’assurer un service de taxi. C’est à celui qui criera le plus fort. Je lance le concours. J’attends à me faire arracher par l’un deux s’agrippant à mon sac.

Je m’écarte de quelques mètres les laissant s’engueuler entre eux devant la porte, sur le non respect des règles qu’ils doivent avoir mises en place pour pareille occasion. Je constate avec plaisir que je foule le sol péruvien. Il fait déjà lourd. Il fait gris. Je respire un air sans souffle. Je vois le dehors pour la première fois depuis presque 20 heures. Il faut prendre son temps, ne pas se laisser embarquer trop vite. Prendre le temps de regarder des choses qui n’ont pourtant aucun intérêt, comprendre comment les choses se font.

De l’autre côté des voies de dépose, je vois un jeune taxista qui regarde la scène au loin : ses concurrents finir leur mascarade à mon sujet et petit à petit s’éclipser chacun de leur côté pour agripper un autre semblable à moi, en essayant de se calmer, et de cette fois respecter les règles. Lui est adossé à une belle voiture, qui doit en avoir sous le capot. Il fume une cigarette comme dans les films, nonchalant mais préoccupé, comme s’il avait bien d’autres choses à faire que les autres ici, ou qu’il ne cautionnait pas leur méthode. Je le regarde et il me voit. Je lui fais signe de la tête. Quelques dizaines de seconde plus tard, après quelques formalités, nous partons en trombe. 

Ce qui m’intéressait aussi c’était la voiture de Jorge. Apparemment puissante. Donner de la vitesse, tout de suite. Avoir la classe, assis à l’arrière. Et puis j’aime à découvrir une ville, seul dans un taxi, d’autant plus dans les pays où les taxis sont les voitures de tous. Seul dans un taxi, ça permet de sonder la ville par l’intermédiaire de l’Homme. Des questions connes sur la ville, sur le pays, sur le parcours, petit inventaire des prix, sensation d’avoir un pote, prendre les premières images au filtre de vitres légèrement teintées, installé dans  une bulle. Depuis ma banquette arrière, j’ai le gout du Mexique qui me revient. Le taxi était un mode de transport quasi quotidien. Et puis, à quelques détails près, on pourrait vraiment s’y croire. Dans le Mexique du D.F. ou de Toluca. Pas l’autre beau Mexique des places coloniales et du ciel bleu. Mais le Mexique des gens qui vivent la ville haute et grande et grise et comme ils peuvent. Les stations services ne sont pas des Pemex mais des Repsol, les gens dans la rue ne mangent pas sur le pouce des tacos mais des ceviches, mais les boulevards sont les mêmes, les constructions qui les bordent aussi, toits plats prêts à accueillir un ou plusieurs étages supplémentaires, comme si on enfilait des perles sur du ferraillage en train de rouiller. Entre les boulevards et les habitats, les trottoirs sont arrachés et par endroit forment des montagnes de gravas dont on viendra se resservir un jour ou l’autre, c’est sûr.

Jorge semble faire des détours incompréhensibles. On passe par des quartiers déshérités, des grands ensembles de building à enseignes, et des quartiers à barbelés et polis à vélo. Voilà peut-être déjà un condensé du schéma des villes d’Amérique latine. Mais comme le prix est fixé par avance et que je ne suis pas si pressé, je profite, sans mot dire, je me laisse guider. N’ayant pas prévu de rester à Lima je me dis que c’est ma seule occasion avant la toute fin de mon voyage, de me faire une idée de la ville. Je veux quitter Lima, comme je voulais fuir Paris. Aller le plus loin des villes, de leurs urgences et contrastes dérangeants, voir des montagnes, des déserts, qui imposent prudence et émerveillement et vous confrontent à ce dont je n’ai plus l’habitude : sentir mon corps et mon esprit dans et face à la nature.

Dans les quelques heures que j’ai quand même passées à Lima, je suis allé jusque sur le Malecón de Miraflores, là où l’on peut observer de haut le Pacifique se confondre avec la garua, ce ciel gris qui s’installe plus de dix mois de l’année sur Lima, et donne la sensation d’un toit, curieuse impression d’une ville d’intérieur, si rarement touchée par la pluie. D’en haut, le bruit des vagues est étouffé. Seuls les surfeurs que l’on distingue en tout petit, l’entendent vraiment. Le Malecón, avec ses immeubles modernes et dépareillés, au milieu desquels les parapentistes profitent du vent marin qui bute sur la falaise, est avant tout une route qui ne ressemblera jamais à la promenade des Anglais ou à la digue de Cabourg. A tout dire, le décor à un charme que seuls les limeños peuvent sans doute apprécier. Je n’invente rien en disant cela et Vargas Llosa le dit beaucoup mieux que moi dans les premières lignes de son excellente Historia de Mayta, ou encore tout au long de son (El) Heroe discreto.

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Commentaires
Peru Bolivia : un mois pour tout donner
  • En octobre 2012, après un an de dur labeur, à tout donner, je pars épuisé, un peu hagard, pour un break en Amérique Latine : ce sera le Pérou et la Bolivie pendant un mois : un mois pour tout donner. Mais à ma façon. Retour à froid sur ce mois inoubliable.
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