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Peru Bolivia : un mois pour tout donner
13 mars 2016

Huacachina, une journée sur les dunes

Je ne dormirai pas à Lima. Pas cette fois. Le transit que j’ai maintenant commencé depuis de nombreuses heures, dont le calcul est compliqué par le décalage horaire, se poursuit vers le Sud. Je veux des grands espaces. Dans le début d’après midi de ce premier jour au Pérou, après seulement quelques heures du côté de Miraflores et de Barranco, derrière les vitres du bus qui m’éloigne de la ville, je distingue les faubourgs de plus en plus lointains de cette drôle de capitale dont je ne connais presque rien, lesquels finissent par s’évanouir par tâches sur des collines sèches et des plages qui n’ont de plage que le fait que les ondes océaniques viennent y finir leur longue course sous forme de vagues. Le sable ou la terre, à travers les vitres légèrement teintées du bus ont des tonalités de rouge-brun. La garua plombe l’océan de gris et fait disparaître l’horizon. Il est 15 heures, mais le sentiment est celui d’une fin de journée d’une saison que nous ne connaissons pas et que nous ne voudrions pas connaître, une longue saison sans soleil et sans eau, tous les jours identiques. L’ensemble doit être triste à vivre. Il défile devant mes yeux. Je le fixe interrogatif et curieux. Cette virée sur ce coin de planète dont je ne connais rien sauf la langue ne fait que commencer.

PB_Article Huacachina_Image 2_carte

J’arrive à Ica en fin de journée. La nuit est tombée subitement dans la dernière heure du trajet. C’est dans le noir complet, pas aidé par les phares fatigués d’un vieux taxi, que je rejoins Huacachina, à quelques kilomètres seulement de la ville. Huacachina je ne la vois donc pour la première fois qu’au réveil. La veille je n’avais rien pu distinguer des immenses dunes qui l’encerclent. Tout change lorsque je sors de ma chambre que je partage avec deux québécoises plutôt louches pour des raisons d’arrivage sans réservation. De la terrasse, j’aperçois les immenses remparts, lisses, formant de grandes ondulations. De l’autre côté, il y a la lagune et ses palmiers, véritable oasis. Juste au bord, des hôtels et des restaurants les uns à côté des autres, dans une forme de fer à cheval entourant la lagune. Derrière eux, encore des dunes. Il est six heures du matin et mes habitudes asiatiques, m’avaient poussé hors du lit, dès que j’avais vu 5h30 sur ma montre, suite à un réveil non prévu mais sans doute aucun provoqué par le décalage horaire. En Asie la vie commence à cette heure là. Au Mexique également. Alors j’avais pensé qu’ici aussi. Dehors pourtant seuls les chiens vaquent à d’étranges occupations, et quelques couples péruviens finissent leur soirée arrosée en s’enlaçant devant le petit lac. Mais tout est fermé, et personne ne semble être prêt à me servir un petit déjeuner. Alors je rentre dans ma chambre sur la pointe des pieds, ouvre mon sac que je n’ai pas ouvert depuis mon départ de Paris, en extirpe avec un certain plaisir mes chaussures de randonnée, en tentant vainement de faire le moins possible crier les sacs plastiques qui les enferment, et m’en vais les chausser sur la terrasse. 

PB_Article Huacachina_Image 1_bis

Dehors, je commence à gravir la dune dont le pied n’est qu’à quelques mètres de mon auberge, de l’autre côté du chemin. Arrivé en haut le spectacle est celui dont j’avais rêvé, sans pouvoir l’imaginer comme tel. Je vois les deux côtés de la dune : côté pile, la lagune, petite, verte et bleue, perdue au milieu du jaune-blanc, lieu de repos, de festivité, de sorbets chimiques, et côté face, ces baraques formant des villages le long de la piste qui mène droit à l’océan, à une soixantaine de kilomètres, ces villages des « Negros », ces descendants d’esclave africains de la région de Pisco, qui après le tremblement de terre de 2007 sont venus rebâtir leur vie dans ce lieu aussi sec qu’un palet breton. Ca c’est Juan qui me l’a dit. Juan c’est une petite boule tonique d’une quarantaine d’année, qui vit entre Ica et Huacachina, et qui vient comme beaucoup d’habitants de la région, passer son dimanche dans les dunes et autour de la lagune. Il est accompagné de son fils et de son neveu. Ils ont quatorze ans tous les deux. Je les ai vu monter en suivant l’arrête de cette dune, la plus haute du côté est, et se sont spontanément dirigé vers moi, après avoir fait quelques photos dix mètres en contrebas. J’étais assis tranquillement dans le sable, depuis une heure, quand la tornade a débarqué. Ils m’ont serré la main en arrivant et se sont assis à mes côtés. On a discuté une grosse heure, parce que Juan est plutôt bavard.

Ce qu’il y a de surprenant avec Juan, c’est qu’il part un peu dans tous les sens. Il pose des questions qui semblent être tirées au sort parmi une liste qui devait pourtant avoir été conçue avec des catégories, puisqu’on a l’impression par moment que la question qui aurait dû arriver après une réponse vient deux questions plus tard, après que l’on soit passé par des interrogations qui n’avaient rien à voir. Entre deux questions politiques sur la toute proche élection au Venezuela, il me parle des nichons des péruviennes, qui sont gros et bien fermes, en priant son fils et son neveu de bien s’amuser avec, dès qu’ils en auraient l’occasion. Il le mimait plutôt bien ça. Avec autant d’entrain que lors d’une longue soirée sous Pisco. Ca commençait fort ce voyage. Tu te casses aussi sec arrivé à la ville pour pouvoir t’isoler dans les dunes et en quelques minutes tu te retrouves avec un Juan en pleine forme, et deux gamins qui ont l’air de trouver ça normal, rigolant malicieusement à des pitreries surjouées. Juan et les gamins sont curieux. Ils ont abordé la France, et m’ont spontanément rappelé sa superficie avec justesse, tandis que le nom de notre nouveau président faisait défaut à leur mémoire. Ils m’ont demandé de leur parler de moi, ce qui n’est jamais chose aisée, car il faut peser ses mots, ne pas claquer trop frontalement les privilèges qui nous font. Avec mon guide, pour dévier la conversation lorsqu’elle devenait quelque peu embarrassante ou que Juan se dispersait, j’ai même pu, carte à l’appui, leur apprendre quelques petites choses sur le Pérou. Banale réalité que celui qui accueille en apprend à son sujet par son invité.

Puis ils sont partis, après une séance d’adieu aussi grandiloquente que Juan est petit, en direction de la lagune. Pour s’y baigner. Je les vis dévaler cette grande piste de sable à grandes enjambées. Ils faisaient des virages tels des skieurs sans bâtons. Ou est-ce l’inverse ? A-t-on d’abord dévalé les dunes ? Je suis resté encore un peu, de nouveau seul, à regarder cette route qui partait vers l’océan que l’on ne voyait pas, à mémoriser les éléments importants que Juan avait disséminé dans ses histoire, et à égrainer ce sable fin entre mes doigts. En bas je voyais la vie qui reprenait. De l’autre côté de la lagune je voyais des buggies escalader les murs de sables, pour disparaître derrière eux ne laissant qu’un bruit sourd pour au revoir. C’est dans la région que l’on vient désormais faire une partie du Dakar. Dans trois mois quasiment jour pour jour, le Dakar serait là, entre Pisco et Ica. Dans l’après midi, après être redescendu de cinq longues heures dans les dunes, je cherchais l’ombre, tout en évitant la cacophonie des gamins qui pataugeaient dans l’eau, sonorité qui éloigne du désert.

Puis vient déjà l’heure du départ, en fin d’après midi. Comme souvent au début d’un voyage, je donne des pointes d’accélération. Je suis sûr que si j’avais terminé ma boucle par Huacachina, j’aurais sans doute essayé d’y rester au moins deux jours, pour me reposer des incroyables découvertes et rencontres que j’aurais faites pendant ce voyage. Faire sas. Mais je ne regrette rien, absolument rien. Je veux foncer. A la manière d’un buteur qui venant d’ouvrir le score court après on ne sait quoi sur le terrain, ne voulant rien d’autre que remettre la balle au centre pour s’en aller marquer un second, puis beaucoup d’autres encore, tant que les arrêts de jeu ne sont pas finis.

Et puis, Huacachina est aussi un de ces lieux où je pense il faut mieux être deux. Mais encore une fois j’étais parti seul, et je ne le regrette pas, absolument pas. Qui sait si j’aurais rencontré Juan et les deux cousins, si je ne m’étais pas aventuré à gravir une dune, seul, à six heures du matin ? 

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Commentaires
Peru Bolivia : un mois pour tout donner
  • En octobre 2012, après un an de dur labeur, à tout donner, je pars épuisé, un peu hagard, pour un break en Amérique Latine : ce sera le Pérou et la Bolivie pendant un mois : un mois pour tout donner. Mais à ma façon. Retour à froid sur ce mois inoubliable.
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